“Ici, la porte galvanisée et là, la sécurité supplémentaire, les barreaux pour être sûrs de ne pas être agressés à l’intérieur”. Dans le nord de Mayotte, la maison de Faoulati Sandi est, comme souvent sur l’île française de l’océan Indien, organisée autour du “barricadage”.
“Là, la chambre de mon fils, c’est barreaux pour que les vitres ne soient pas cassées, protection maximum”, détaille cette fonctionnaire de 48 ans, mère de quatre enfants. “La baie vitrée pour faire entrer l’air ? Bah, c’est fini, c’est aussi des barreaux”.
“Chez les voisins, c’est pas mieux. Ceux qui ont les moyens font le barricadage”, poursuit, excédée, Faoulati Sandi en montrant le portail de barbelés sur lequel elle a désormais vue.
A Mayotte, l’insécurité, qualifiée de “hors norme” par les statisticiens de l’Insee, nourrit depuis dix ans un climat de peur et de paranoïa chez ses habitants, qui ont bousculé leur quotidien et adapté leurs habitudes à un sentiment de menace permanente.
Les habitants du département le plus pauvre de France, aux très fortes disparités économiques, redoutent avant tout les “intrusions”, des cambriolages imputés aux jeunes des quartiers.
Rouler la vitre ouverte, téléphoner dans la rue, garer un scooter dans la rue ou laisser sa voiture sur un parking non surveillé… les Mahorais n’y songent même plus.
A Majicavo, dans sa maison désormais surplombée par le bidonville de “Talus 2” menacé de destruction, Ismaïla Faïza, 42 ans, s’interdit tout comportement ostentatoire. “On est obligés de s’enfermer sans arrêt”, déplore la puéricultrice, “on ne peut pas se promener avec des objets de valeur, comme une montre”.
– Horaires décalés –
Les statistiques de la délinquance à Mayotte livrées par le ministère de l’Intérieur sont inquiétantes: +16% d’homicides, +20% de vols avec armes et +33% de vols de véhicules en 2022.
Six habitants de l’archipel sur dix se sentent en insécurité à leur domicile ou dans leur quartier “soit cinq à six fois plus que les habitants de l’Hexagone”, selon une étude de l’institut de la statistique (Insee) réalisée en 2021. Et ils sont quatre sur dix à renoncer “souvent ou parfois” à sortir de chez eux.
Car l’autre peur omniprésente sur ce territoire de 374 km2 est celle des guet-apens nocturnes menés par les “coupeurs de route”, ces groupes de jeunes qui barrent la route avec du mobilier urbain ou des arbres pour racketter les automobilistes.
Sur Facebook, un groupe “Actu et Infos Route à Mayotte”, alimenté en temps réel par les internautes, recense la situation routière et sécuritaire par secteur pour les automobilistes.
Les transports scolaires sont eux parfois caillassés sur la route.
Les parents préfèrent d’ailleurs éviter de leur confier leurs enfants et les salariés bénéficient d’une certaine tolérance sur les horaires, décalés pour pouvoir sécuriser les déplacements familiaux.
“On a nulle part où respirer (…) on a nulle part où se reposer”, fait valoir la mère de famille Faoulati Sandi.
Pour respirer ou souffler un peu, les familles s’en remettent également aux forces de l’ordre.
– Opération “balades tranquilles” –
Les très prisées randonnées sur l’un des sommets de l”île, le mont Choungui (593 m) se font le week-end sous surveillance des gendarmes, présents en plusieurs points du parcours, pour éviter de laisser les marcheurs seuls face à de possibles agresseurs.
Cette opération, baptisée “Matémembezi Ya Ounafassi” (balades tranquilles) concerne aussi les plages. Délaissées depuis dix ans, Mahorais et métropolitains se les réapproprient sous la protection de ces patrouilles annoncées sur Facebook.
Le patron de la gendarmerie de l’île, le général Olivier Capelle, confirme l’impact psychologique de ces agressions, destinées à “rançonner, prendre les effets et +tailler+ (en mettant un coup de machette)” pour, souligne-t-il, “marquer les esprits”.
“J’ai l’impression que l’on me vole ma jeunesse parce que maintenant, on ne peut plus sortir à l’heure qu’on veut pour aller s’amuser dehors, entre amis”, regrette Moulaika Antoy, étudiante en BTS tourisme. “On ne peut pas ressentir cette joie d’être des jeunes adultes et de faire un peu ce que l’on veut”.
Dans ce climat de crainte permanente, la plupart des jeunes de Mayotte considèrent le départ définitif vers la métropole ou l’étranger comme leur seule perspective d’avenir.
La fonctionnaire Faoulati Sandi comprend, qui sait que ce sera le choix de ses quatre enfants. “Oui, on commence à devenir paranoïaque”, concède-t-elle, “c’est l’un des pas vers la folie et nos enfants auront des séquelles”.
Source : Orange