Des défilés surveillés depuis le ciel. Paris, Le Havre, Lyon, Bordeaux… Un peu partout dans l’Hexagone, des préfectures ont multiplié les arrêtés autorisant l’usage de drones équipés de caméras pour sécuriser les traditionnelles manifestations du 1er-Mai. Une utilisation contestée, dimanche 30 avril sur franceinfo, par l’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico), qui craint que les manifestants soient “filmés en permanence de façon massive et systématique”.
L’Adelico a ainsi déposé des référés-libertés contre ces arrêtés préfectoraux qu’elle considère illégaux car ils ne permettent pas, selon l’association, de “garantir la bonne utilisation des images qui seront filmées“. Franceinfo décrypte le cadre législatif de l’utilisation des drones de surveillance par les forces de l’ordre.
Une utilisation permise depuis le 19 avril
L’emploi des drones a été autorisé par la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (RPSI), promulguée en janvier 2022. Mais c’est la publication du décret d’application, daté du 19 avril 2023, qui a rendu possible leur utilisation concrète. Ce décret, relatif “à la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs”, liste précisément les situations pour lesquelles leur usage est permis.
Le rassemblement qui s’est tenu dans le Tarn contre l’autoroute A69, le 22 avril, a été la première manifestation à faire l’objet d’une surveillance par drone. Lundi, p our la première fois, des manifestations syndicales vont à leur tour être surveillées depuis les airs.
Des drones destinés à assurer “la sécurité des personnes et des biens”
Selon le décret du 19 avril, les drones peuvent être employés pour “la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés”, par exemple s’ils ont déjà été le théâtre d’agressions, de vols, de trafic d’armes ou de stupéfiants.
Les forces de l’ordre peuvent également utiliser les drones pour assurer “la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique dans un objectif de maintenir ou de rétablir l’ordre public”, “la régulation des flux de transport”, la surveillance des frontières ou encore pour le secours aux personnes.
Dans le cadre des cortèges du 1er-Mai, les drones sont censés permettre de mieux anticiper et gérer les flux de manifestants grâce à l’observation par le haut, et ainsi d’adapter le dispositif de sécurité.
Des limites prévues par les textes
Le site du ministère de l’Intérieur assure que l’emploi des drones est entouré de garanties. Leur usage n’est ainsi permis que pour des finalités de police administrative. “Il s’agit de prévenir, sécuriser et secourir, pas de collecter des preuves ou d’enquêter comme en procédure judiciaire”, assure le ministère.
L’emploi des drones doit être aussi autorisé par décision écrite et motivée du préfet. Le nombre maximal de caméras pouvant être simultanément utilisées est plafonné par un arrêté du ministre de l’Intérieur fixant la limite à 40, 70 ou 100 par département.
En ce qui concerne le contenu des vidéos, la captation du son est interdite. Les drones ne peuvent pas non plus filmer l’intérieur des domiciles. L’utilisation de la reconnaissance faciale ou d’autres traitements automatisés des données est également proscrite. Les enregistrements ne pourront pas être conservés plus de sept jours, sauf en cas de procédure administrative, judiciaire ou disciplinaire.
La Cnil réclame des précisions, des associations déposent des recours
Dans un avis publié le 27 avril, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) émet plusieurs recommandations. Elle souligne ainsi l’absence, dans le décret du 19 avril, de “critères exhaustifs quant à l’enregistrement ou à la transmission d’images en temps réel”. Elle appelle donc à faire figurer ces derniers dans une “doctrine d’emploi” à l’usage des forces de l’ordre. La Cnil recommande par ailleurs “qu’une information soit donnée sur le lieu de l’opération au cours de laquelle les caméras aéroportées seront utilisées”. En d’autres termes, elle demande que les participants à une manifestation soient avertis de l’existence d’une vidéosurveillance par drones.
“L’usage des drones a été également dénoncé par les associations pour son effet dissuasif sur les manifestants”, commente le professeur de droit Olivier Cahn. Amnesty International avertissait ainsi en 2021 qu’“avec les drones, il sera bien plus difficile de ne pas être filmé, ce qui augmente le risque d’avoir des amendes”. Cela pourrait, selon l’ONG, décourager des manifestants de participer à un rassemblement.
Pour l’Adelico, les arrêtés autorisant l’usage des drones lors du 1er-Mai relèvent d’une “illégalité manifeste”. “On ne peut pas laisser la police et les préfets continuer à exercer leur activité de maintien de l’ordre sans respecter les règles de base qui ont été fixées par la collectivité”, estime auprès de franceinfo l’un de ses membres, l’avocat Jean-Baptiste Soufron. Sur les quatre référés-libertés déposés pour obtenir la suspension des arrêtés, un premier a été rejeté dimanche par le tribunal administratif de Lyon, qui n’a pas reconnu le caractère urgent du recours. En revanche, l’arrêté du préfet de Seine-Maritime autorisant les forces de l’ordre à surveiller à l’aide de drones le défilé prévu au Havre a été partiellement suspendu dimanche soir par le tribunal administratif de Rouen, selon la décision consultée par l’AFP. Les tribunaux administratifs de Bordeaux et Paris doivent se prononcer lundi.
Source : Franceinfo