Après le climat et la pollution de l’air, c’est pour l’effondrement de la biodiversité que l’État se retrouve au tribunal. Une audience se tient jeudi à Paris dans un dossier inédit, avec en son cœur la remise en cause par les ONG de l’utilisation massive de pesticides. Cinq ONG de défense de l’environnement (Pollinis, Notre affaire à tous, l’Association nationale de protection des eaux et rivières, Biodiversité sous nos pieds, et Aspas) ont déposé un recours pour carence fautive de l’État devant le tribunal administratif de Paris.
Une première audience très attendue se tient jeudi à partir de 14 heures dans cette procédure baptisée « Justice pour le vivant », lancée en 2021. Un rassemblement de soutien au recours sera organisé juste avant. La rapporteuse publique livrera lors de l’audience ses conclusions, souvent mais pas toujours suivies par les juges, et il faudra ensuite attendre deux semaines au moins avant une décision.
« Effondrement »
Ce dossier fait suite à d’autres affaires dans lesquelles l’État a déjà été condamné, sur son action climatique et pour la pollution de l’air. « On l’imaginait vraiment au départ comme le pendant biodiversité de l’affaire du siècle », où la carence de l’État en matière de lutte contre le changement climatique a été reconnue, raconte Justine Ripoll, de Notre affaire à tous.
Dans « Justice pour le vivant », les ONG soulignent spécifiquement une défaillance de l’État « dans la mise en place de procédures d’évaluation des risques et d’autorisations de mise sur le marché des pesticides », dont l’usage par l’agriculture intensive est « immodéré ». Elles attaquent également le manque de suivi des effets des produits autorisés (pharmacovigilance), le manquement de l’État à ses obligations en matière de protection des eaux et le non-respect des objectifs de réduction des pesticides dans les plans Écophyto.
Les populations d’insectes volants touchées
Depuis le Grenelle de l’environnement, fin 2007, qui avait fixé un objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides de synthèse en dix ans, les deux plans successifs mis en œuvre, Écophyto 1 et 2, ont en effet abouti à des échecs. Ces 30 dernières années, en Europe, les populations d’insectes volants ont diminué de 75 % et les populations d’oiseaux des champs ont chuté de 30 % en France, selon des études citées par les ONG.
Les dernières études confirment ce constat et le lien avec l’agrochimie. Des scientifiques viennent ainsi de publier une étude, fondée sur une masse de données inédite, soulignant l’intensification de l’agriculture comme principale cause du spectaculaire déclin des oiseaux en Europe, qui sont quelque 20 millions à disparaître en moyenne chaque année. « Principale cause de cet effondrement, les pesticides sont aujourd’hui autorisés à l’issue d’un processus d’évaluation lacunaire, qui ne permet ni d’identifier ni d’interdire les produits responsables du déclin des insectes, des oiseaux et de toute la biodiversité ordinaire », notent les ONG.
Marge de manœuvre
Dans son mémoire en défense, l’État, représenté par le ministère de l’Agriculture, estime ne pas avoir de marge de manœuvre par rapport au droit européen. La procédure d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est entièrement harmonisée par le droit de l’UE qui « prend en compte la défense de l’environnement », selon le document, consulté par l’AFP. Quant au non-respect des plans Écophyto, les objectifs fixés par ces derniers ont « une valeur programmatique et ne sauraient avoir une portée contraignante », dit l’État, affirmant ainsi ne pas pouvoir être tenu pour juridiquement responsable.
Phyteis, syndicat professionnel qui regroupe les géants des pesticides comme BASF, Bayer ou Syngenta, s’est aussi mêlé à la bataille en déposant il y a quelques semaines un mémoire en soutien de l’État auprès du tribunal administratif. Le lobby souligne dans un communiqué que la réglementation européenne est « l’une des plus strictes au monde », il avance un « caractère multifactoriel » dans l’effondrement de la biodiversité et pose « les bénéfices et l’efficacité de l’usage raisonné des produits phytopharmaceutiques en termes d’approvisionnement des filières agricoles, de souveraineté et de sécurité alimentaire ».
Source : Le Point