A l’entrée du bidonville de Majicavo sur le territoire français de l’océan Indien à Mayotte, que les autorités cherchent à évacuer et à démolir, un groupe s’est rassemblé autour d’une affiche arborant le drapeau français.
“Tous les jours c’est ceci ou cela, ils viennent de la mairie, ou de la police”, raconte Fatima Youssuf, 55 ans, qui, comme la plupart des migrants sur le territoire, vient des Comores voisines.
“C’est pour détruire nos biens, nos maisons et pourtant il y a des gens qui sont là depuis 35 ans !”, s’indigne Youssouf, incapable de lire la pancarte.
Les autorités de Mayotte devaient lancer l’opération Wuambushu (“Take Back”) dès ce week-end pour évacuer les migrants illégaux qui se sont installés dans les bidonvilles de l’île.
Il est prévu que les sans-papiers soient renvoyés vers l’île comorienne d’Anjouan, à 70 kilomètres de là, bien que les autorités comoriennes aient déclaré vendredi qu’elles n’avaient pas l’intention de les accepter.
Dans la colonie, l’affiche au format A4 annonçait une interdiction de circulation entre 5h30 et 17h30 mardi, laissant ouverte la possibilité que le bidonville, connu localement sous le nom de “bangas”, soit déminé par les autorités pendant cette période. .
Surnommé “Talus 2”, le camp est un labyrinthe de tôles bleues et grises sur le flanc d’une colline verdoyante, tacheté d’eaux usées, de poulets et de vêtements brillants séchant à l’extérieur.
Chaque porte métallique porte un numéro d’identification, peint en rose par les services sociaux.
Derrière la porte marquée 126, la famille Soufou vit entourée de valises à roulettes et de fourre-tout emballés.
“On a préparé les sacs pour partir, les vêtements, les draps, toutes nos affaires, mais on n’a pas fini”, raconte Zenabou Soufou, 48 ans, dont les sept enfants sont français grâce à leur père, né à Mayotte.
Sur le lit se trouvaient des licornes jouets appartenant aux trois filles des Soufous, qui n’avaient pas encore été emballées.
La famille a déclaré qu’elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle irait, affirmant qu’on ne lui avait proposé aucun autre logement.
“Nous n’avons pas refusé de partir de là (le bidonville), mais nous voulons une maison digne pour que les enfants puissent vivre paisiblement à la maison. Mais s’ils détruisent nos maisons, où allons-nous avec les enfants ?” demanda Zénabou.
Les habitants du quartier invoquent souvent l’absence d’alternative pour s’opposer au relogement.
Mais un responsable impliqué dans la réinstallation a déclaré à l’AFP : “C’est faux, il y a une proposition faite à chacune de ces familles, qu’elle l’accepte ou non. C’est de la pure mauvaise foi”.
Dans le cas des Soufous, ils ne seront peut-être pas expulsés de l’île, mais leur domicile actuel est une autre affaire.
La famille illustre parfaitement le casse-tête social et administratif que représente chaque affaire face à une opération d’envergure décidée dans le lointain Paris.
“Invivable”
Plus de 2 000 policiers et administratifs ont été mobilisés pour enclencher les expulsions des clandestins sur l’île et démolir les squats de fortune qui les abritaient.
À “Talus 2”, cependant, certains résidents ont cherché à devancer le déminage en quittant le site et en s’éloignant du danger immédiat.
Ouali Nedja Hamadi, 32 ans, est né ici et a grandi sur le site – d’où sa colère croissante d’avoir été expulsé.
“Je ne veux pas être là” à l’arrivée des officiels, a-t-il déclaré à l’AFP derrière ses lunettes de soleil.
Mais les personnes présentes au début de l’opération n’iraient pas tranquillement, a-t-il prévenu.
“Qu’ils utilisent des gaz lacrymogènes, qu’ils poussent, moi aussi j’aurai envie de repousser”, a déclaré le jeune ouvrier du bâtiment. Des cocktails Molotov accueilleraient la police et les fonctionnaires à leur arrivée, a-t-il ajouté.
Lui et d’autres jeunes préviennent que les autorités récolteront la vengeance et la violence dans la “guerre civile” qui, selon lui, s’ensuivra.
En dessous du bidonville, il y a ceux qui sont contents de voir la notice expliquant noir sur blanc que les clandestins doivent partir
“Nous sommes obligés de nous enfermer tout le temps”, a déclaré la puéricultrice Ismaila Faiza. “Vous ne pouvez pas vous promener avec des objets de valeur, comme une montre, sur vous.
“Si vous sortez la voiture du chantier, vous ne savez jamais dans quel état vous la ramènerez.”
Le quartier était devenu “invivable” à cause du bidonville voisin, dit-elle.
“J’ai hâte que (l’opération de déminage) commence pour que nous puissions récupérer notre île … notre île parfumée”, a-t-elle ajouté, avant de se cacher derrière le portail automatisé sécurisé de sa propre maison.
Source : France24