Ce département français d’outre mer connaît depuis 2016 des épisodes de sècheresse et se trouve régulièrement coupé d’accès à l’eau. Depuis le 4 septembre, les habitants font face à des restrictions sans précédent, qui perdureront jusqu’en décembre 2023.
Le département français d’Outre-Mer de Mayotte, situé dans l’océan Indien, connaît depuis de nombreuses années d’importants épisodes de sècheresses. Les habitants ont dû apprendre à s’adapter à des pénuries d’eau longues et régulières, particulièrement pendant la saison sèche, appelée « hiver austral », qui survient en temps normal d’avril à octobre.
Mais depuis quelques années, cette période sèche s’étend, et la saison des pluies se fait plus avare en précipitations. Les deux retenues collinaires de Mayotte, qui permettent de récolter l’eau de pluie en saison humide et d’approvisionner une grande partie de l’île, s’épuisent à un rythme dramatique. En temps normal, « un tiers de la population de l’île n’est pas approvisionnée en eau potable », indique Olivier Brahic, directeur de l’Agence Régionale de Santé de Mayotte (ARS).
Cette année, la crise de l’eau touche les Mahorais dans des proportions qui n’avaient pas été observées depuis 1997. Malgré des restrictions en eau régulières imposées à la population depuis le début de l’année civile 2023, les réserves en eau se sont retrouvées au plus bas. Lundi 4 septembre, la préfecture de Mayotte a déployé un planning de coupure des eaux très restrictif, qui soulève de nombreux questionnements en matière de gestion de ce département français, qui ne bénéficie pas de l’efficacité des infrastructures essentielles au bien-être des populations locales.
EN ATTENDANT LA SAISON DES PLUIES
Le département mahorais se trouve sous climat tropical, caractéristique de cette région équatoriale de l’océan Indien. À la saison des pluies, les précipitations atteignent en moyenne 200 à 300 mm selon les régions. Pendant la saison sèche, elles atteignent à peine les 20 à 30 mm, selon Météo France. Les 300 000 habitants de Mayotte dépendent essentiellement des eaux pluviales : 80 % de l’approvisionnement en eau provient en effet des deux retenues collinaires au Nord et au centre de l’île.
« Cette année, tout a été décalé » explique Esteban, urbaniste à Mayotte. « C’est-à-dire que normalement, les alizés, les premiers vents que l’on a février-mars, ne sont apparus cette année qu’au mois d’avril-mai. Même chose pour la saison des pluies et le début de la saison sèche ». L’apparent dérèglement de la saison humide engendre des pénuries d’eau depuis près de sept ans. « Les personnes qui ont vécu l’épisode de 2016 rapportent que c’est incomparable à ce qu’il se passe aujourd’hui », ajoute l’urbaniste.
Il est aujourd’hui difficile d’affirmer si ce phénomène trouve sa cause dans le changement climatique ou bien dans des évènements météorologiques spécifiques et isolés. Cependant, l’intensification des sècheresses ces dernières années serait en lien avec la dégradation générale du climat mondial. Certains élus locaux, comme la députée Estelle Youssouffa, considèrent d’ailleurs se trouver dans « l’une des zones les plus frappées par le réchauffement climatique. [En considérant que] la route des cyclones et des précipitations a beaucoup changé ces dernières années », comme le rapportent nos confrères du Figaro. Une problématique qui, précise-t-elle, ne justifie en rien le disfonctionnement des réseaux d’eau locaux.
La déforestation très active est également un facteur aggravant de la crise de l’eau à Mayotte. Le taux de déforestation annuel atteint les 1,2 %. C’est le département le plus déforesté de France. Et cette tendance altère l’efficacité de captation des eaux au niveau du sol. La déforestation est une réponse aux besoins des plus précaires (logements et parcelles de cultures clandestines), mais surtout à ceux des institutions privées. Le code forestier de Mayotte pose problème en ce sens qu’il autorise des « exceptions de défrichement » pour les forêts de moins de 4 hectares.
Face à une population qui croît très rapidement, phénomène en partie lié à l’immigration venant des Comores et de Madagascar, l’urgence de l’eau est de plus en plus difficile à vivre. Entre 2012 et 2017, la population a augmenté de 3,8 % par an en moyenne selon l’INSEE, ce qui en fait le département avec la plus forte croissance de population de France. Une population qui a par ailleurs un niveau de vie médian sept fois plus faible que le niveau national.
Les difficultés d’accès à l’eau d’une grande partie de la population, notamment issue de l’immigration, engendre la création de réseaux de raccordement illégaux. « Cela explique d’ailleurs en partie pourquoi les principales coupures ont eu lieu la nuit jusqu’à présent », souligne Esteban. Le sentiment général est qu’il n’y aura en définitive pas d’amélioration avant l’arrivée de la saison des pluies.
DEUX JOURS SUR TROIS SANS EAU
Selon la préfecture de Mayotte, les nouvelles restrictions de l’accès à l’eau dans le département doivent permettre de tenir jusqu’à la saison des pluies tant attendue. « La saison des pluies qui doit [normalement] alimenter les retenues collinaires a engendré un déficit de la ressource », explique Olivier Brahic. Depuis ce lundi 4 septembre, les habitants qui étaient jusqu’à présent habitués à des coupures régulières, se retrouvent coupés d’eau tous les soirs et deux jours sur trois. Car, en temps normal, les infrastructures ne proposent pas une production suffisante pour tous les habitants. On estime que 38 000 m³ d’eau sont produits au maximum, pour les besoins d’une population qui s’élève à environ 40 000 m³ par jour.
« Nous demandons aux Mahorais de faire des efforts supplémentaires », a annoncé, jeudi 24 août, le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, alors même que dix-sept communes se voyaient annoncer, à l’exception de la capitale économique Mamoudzou, ainsi que certaines zones industrielles et points de la Petite Terre, des coupures d’eau de deux jours sur trois, ainsi qu’un gel des prix de vente des bouteilles d’eau, cinq fois plus cher qu’en métropole selon le décret du 18 juillet.
L’ARS diffuse des plannings de coupures, relayés par des médias locaux comme Le journal de Mayotte, où l’on peut lire les préconisations en vigueur depuis le 4 septembre : « Dans l’ensemble du département, l’eau sera coupée durant 48 h toutes les 24 h (2 jours sur 3). L’eau sera coupée à 16 h puis remise à la même heure 48 h plus tard. Dans les secteurs de fortes activités situées dans les communes de Mamoudzou et de Koungou ainsi qu’en Petite Terre, l’eau sera coupée 5 fois par semaine de 16 h à 8 h avec une coupure supplémentaire de 36 h une fois par semaine. Le programme des nouveaux tours d’eau sera communiqué dans les prochains jours ».
« L’ARS a publié quelques états des lieux des réserves en eau disponibles », explique Esteban. « Mais la communication est peu transparente » et il y a peu d’informations sur la manière dont vont êtres organisées les coupures. « Ils nous annonçaient après coup qu’on avait eu une coupure trois jours plus tôt ». L’urbaniste explique que les zones définies changent sans arrêt, et que la majorité des annonces sont faites en français « tandis qu’une bonne partie de la population locale ne sait pas le parler et encore moins le lire et l’écrire ».
Des camions-citernes desservent les quartiers. « Et c’est en libre service », explique Esteban. Cette pratique de distribution de l’eau conduit à des attroupements de personnes, notamment des mères de famille qui arrivent de toutes les habitations environnantes chargées de jerricans, ce qui conduit à des violences lors des distributions d’eau. « En 30 minutes, le camion citerne est vide ».
La distribution de l’eau soulève également des questionnements sur fond de discriminations. « En principe, excepté le chauffage et l’entretien des canalisations, l’eau est gratuite en métropole. Ici, il aurait été question de réserver l’eau exclusivement aux Mahorais, excluant les Comoriens et Malgaches », affirme l’urbaniste. En principe, des bornes fontaines monétiques, financées par l’ARS et installées par la SMAE, sont disponibles pour les populations les plus défavorisées.
L’équipe de communication du Centre Hospitalier de Mayotte (CHM), précise également « qu’à ce jour, l’hôpital est toujours en concertation avec l’ARS et les services de la préfecture afin de faire face à la crise ». Bénéficiant d’un statut prioritaire, l’Hôpital informe ne pas être soumis aux coupures d’eau et bénéficier d’importation de bouteilles depuis la métropole.
L’EAU DISPONIBLE EST-ELLE POTABLE ?
Ces derniers mois, de nombreux doutes se sont installés quant à la salubrité et à la potabilité de l’eau disponible, alors que l’ARS, chargée des contrôles de la qualité de l’eau et la SMAE (Société Mahoraise des Eaux), réseau de distribution de l’eau, assurent que l’eau ne présente pas de signes de contamination pour le moment. Olivier Brahic indique qu’un travail collaboratif est fait avec le Ministère de la Santé pour mener des campagnes de vaccination préventives, notamment contre la typhoïde et le choléra.
Les informations communiquées aux populations sont principalement préventives. « La pénurie d’eau peut engendrer des risques sanitaires, d’autant plus qu’avec les coupures d’eau, les tuyaux ne sont plus en pression, augmentant le risque d’infiltrations de germes ». Le directeur de l’ARS ajoute que trois préconisations majeures sont diffusées pour « éviter que cette crise de l’eau ne se transforme en crise sanitaire ».
Dans un premier temps, il est recommandé de « faire bouillir l’eau après sa remise au robinet ». Mesure qui est accompagnée de recommandations de plages horaires à respecter. « Pour les personnes qui vont être coupées pendant plus de 48 heures, il y a une plage de sécurité de 12 heures pendant laquelle l’eau est réputée non potable », ajoute-t-il. Ce qui laisse peu de temps pour constituer des réserves.
Dans un deuxième temps, il est « demandé à la population de faire très attention au stockage de l’eau », ajoute Olivier Brahic. Un stockage dans des grosses cuves est approprié pour une eau à usage sanitaire, qui peut être conservée plus longtemps qu’une eau destinée à la consommation, laquelle ne peut pas être conservée plus de 48 heures dans des jerricans. « Après 48 heures, il n’y a plus de chlore. Le risque bactériologique est donc plus élevé ». Enfin, l’hygiène, notamment des mains, est également à respecter, car elle permet selon l’OMS de diminuer de moitié le risque de contamination.
Tandis qu’une vague de gastro-entérite vide les stocks anti-diarrhéiques de l’île, aucun lien n’a été établi avec la qualité de l’eau à ce jour selon les services publics. Parallèlement, de nombreux habitants rapportent que l’eau des canalisations est boueuse. « L’eau ne peut pas être bue le matin. Elle a une texture très blanchâtre et une odeur vraiment particulière. […] J’ai déjà fait une intoxication alimentaire parce que j’ai bu de l’eau une heure ou deux après la fin de la coupure », témoigne Esteban. La communication du CHM ajoute que les cas de consultations en urgences pour des problématiques gastriques, constituent « aujourd’hui le principal motif de consultation non programmé en pédiatrie et hospitalisation ».
« Est-ce qu’il y a des bactéries dans l’eau ? » reprend Esteban, « je ne sais pas. Après, ce qui est sûr, c’est que la crise de l’eau a des conséquences sanitaires ». Les habitants peinent à maintenir des mesures d’entretien de l’espace privé comme public. Les déchets s’accumulent dans les canalisations et dans les poubelles. « Vu qu’il n’y a plus de sanitaires, les gens font leurs besoins dehors devant chez eux. Ça attire des rats », mais pas seulement. En raison de la déforestation de plus en plus d’espèces sont en contact avec l’Homme. « Les animaux affamés viennent se nourrir dans les poubelles. Et c’est un cercle vicieux, parce que certaines de ces espèces sont consommées à Mayotte ».
De plus, une autre problématique à prévoir est « l’effet de débordement ». Les réseaux vont se retrouver subitement submergés de quantités d’eaux supérieures à leur capacité initiale. « Et comme il pleut énormément sur l’île, cela entraînera tous les déchets, qui vont par la suite se déverser dans les cours d’eau, voieries, canalisations, etc. » souffle l’urbaniste. Il n’est pas recommandé de se baigner après les deux premières semaines de pluie, car d’énormes quantités de déchets sont ainsi charriées.
UNE ORGANISATION DISCUTABLE DES INFRASTRUCTURES
Quand bien même la consommation au robinet a diminué de 25 %, le niveau des réserves des deux retenues collinaires continue de baisser. « L’une est vide et la deuxième se trouve aux alentours des 10 % », précise-t-on sur l’île, indiquant une problématique majeure au niveau des infrastructures.
Face à toutes ces contraintes, la colère des habitants monte à Mayotte face à l’inefficacité des décisions d’aménagement. Les campagnes de destruction des zones de pompage illégales, notamment comoriennes, menées dans le cadre de l’opération « Wuambushu » (« reprise » en mahorais), ont jusqu’ici conduit à des coupures d’eau notamment la nuit. Ces opérations viennent supplanter une demande urgente de réhabilitation des réseaux hydrauliques vétustes et insuffisants de Mayotte.
Source : nationalgeographic