Une vaste opération de maintien de l’ordre a débuté le vendredi 21 avril à Mayotte. L’opération Wuambushu visait le démantèlement des bidonvilles installés sur l’île et l’expulsion des migrants en situation irrégulière. Le tribunal judiciaire de Mamoudzou a néanmoins suspendu l’opération jugeant les conditions d’expulsion irrégulières et les solutions de relogement insuffisantes. En parallèle, les Comores refusent la reconduction sur leur territoire des migrants irréguliers.
La décision du tribunal judiciaire de Mamoudzou est un coup d’arrêt pour l’opération Wuambushu, prévue depuis plusieurs mois par le ministère de l’intérieur, néanmoins les 1800 gendarmes et policiers, présents sur l’île, restent mobilisés pour reprendre l’opération en cas de décision de justice favorable.
Depuis plusieurs mois, la situation à Mayotte, le 101ème département français, ne cesse de se dégrader. L’île de l’océan Indien connaît, depuis plusieurs années, un afflux massif de migrants en provenance d’Afrique et plus particulièrement des Comores. Les arrivants sur l’île sont, en grande partie, dépourvus de titres de séjour et Mayotte concentre, pour son seul territoire, la moitié des expulsions annuelles de migrants en situation irrégulière en France, soit un total de 25 000 expulsions. Si 80% des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté, ce qui en fait le département le plus pauvre de France, la proximité et la pauvreté de l’archipel des Comores expliquent en grande partie l’afflux de migrants comoriens.
Un revers judiciaire, mais l’opération continue
Mardi 25 avril, le juge des référés du tribunal judiciaire de Mamoudzou a suspendu l’opération de destruction du bidonville « Talus 2 », en raison d’une voie de fait. Selon l’AFP, l’une des motivations de cette suspension concerne également l’insuffisance des solutions de relogement. Une centaine de familles, dont une partie est en situation régulière, vivent sur place. Une victoire pour les habitants, et l’association Droit au logement qui dénonçait « une nouvelle régression des politiques du logement des classes populaires : on résorbe l’insalubrité non plus en relogeant les habitants de quartiers informels, mais en les stigmatisant pour mieux justifier leur expulsion ». Il devait s’agir de la première opération de décasage c’est-à-dire de destruction des habitats en taule.
Le préfet du département, Thierry Suquet, a annoncé faire appel de la décision du Tribunal judiciaire de Mamoudzou. La porte-parole du ministère de l’intérieur confirme que l’opération a vocation à durer « plusieurs semaines, plusieurs mois ». Le dispositif policier, bien que mis à l’arrêt, devrait donc se maintenir dans un contexte d’affrontements réguliers avec les bandes de délinquants sur place. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin a réaffirmé l’importance et la nécessité de l’opération dans un tweet.
Une décision de justice que plusieurs élus de Mayotte contestent. La députée LIOT, Estelle Youssouffa, s’est dite « consternée mais pas surprise ». Alors que les solutions de relogement sont jugées insuffisantes par la justice, Thani Mohamed Soilihi, sénateur RDPI (Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants) de Mayotte, estime « qu’en termes de sécurité, c’est en restant dans le bidonville que la situation est dangereuse, il peut y avoir des éboulements, et des morts ». Le sénateur reconnait d’ailleurs que la solution de relogement « doit être prévue pour les personnes en situation régulières ».
« Les Mahorais demandent le maintien de l’opération »
Malgré la décision de justice une grande partie de la population reste en faveur de l’opération. « Les Mahorais demandent le maintien de l’opération, ce territoire doit cesser d’être une zone de non-droit », souligne Thani Mohamed Soilihi. « Il faut faire cette opération car on est arrivés à un point insupportable où l’on n’arrive plus à construire des écoles, des hôpitaux … l’île ne tient plus », alerte Thani Mohamed Soilihi.
Actuellement, parmi les 350 000 habitants de l’île, près de la moitié sont étrangers. Dans ce contexte, des bidonvilles se sont formés autour des principales communes de Mayotte dont Mamoudzou le chef-lieu menant à une augmentation importante de la délinquance.
Le succès de l’opération conditionné à la coopération des Comores
La majorité des migrants en situation irrégulière étant originaires des Comores, le succès de l’opération nécessite une collaboration avec le gouvernement Comorien. Malgré un accord, conclu en 2019, prévoyant une aide au développement de 150 millions d’euros, en échange d’une coopération des Comores en matière migratoire, le gouvernement comorien refuse d’accueillir les personnes expulsées de Mayotte. « Tant que la partie française décidera de faire des choses de façon unilatérale, nous prendrons nos responsabilités. Aucun expulsé ne rentrera dans un port sous souveraineté comorienne », a déclaré le ministre de l’intérieur des Comores, Fakridine Mahamoud à l’AFP. Dans l’après-midi du 24 avril, le « Maria-Galanta », bateau français, a été empêché d’accoster aux Comores, les autorités locales ont évoqué des travaux dans le port.
Depuis la décolonisation et l’accès des Comores à l’indépendance en 1975, un contentieux sur la souveraineté de Mayotte envenime les relations entre la France et les Comores. Les Comores « peuvent, s’ils le souhaitent, continuer de revendiquer leur souveraineté sur l’île de Mayotte mais je souligne encore une fois l’incohérence du pouvoir comorien qui délaisse ses propres concitoyens », note Thani Mohamed Soilihi. Pour ce dernier, le refus de coopération des Comores était un risque connu et il appartient désormais « à la diplomatie française d’être ferme ». Néanmoins, le sénateur de Mayotte reste convaincu que l’archipel voisin peut être incité à la coopération puisque « la France a un certain nombre de leviers sur les titres de séjour, les avoirs financiers d’un certain nombre de dignitaires comoriens ».
Source : Public Senat