Des rayons vides au milieu du supermarché. Dans le dédale d’un des plus grands centres commerciaux de Mamoudzou, le chef-lieu de Mayotte, les clients s’approchent à la hâte des étals d’eau en bouteille… et repartent la mine défaite. Plus aucun pack d’eau plate n’est disponible, lundi 9 octobre. Seuls quelques bouteilles d’eau gazeuse, en verre ou en petit format, sont encore disponibles à la vente. Pour près de deux euros le litre. Une scène qui se répète inlassablement dans le 101e département français, en proie à une grave crise de l’eau.
“Je passe ma vie à chercher des packs d’eau, souffle une habitante de Mayotte. Et même lorsqu’il y en a, on est limité à deux packs par passage en caisse, alors je fais des allers-retours dans le magasin”, explique cette mère de trois enfants, fatiguée par des mois de débrouille. “Tout le stock du supermarché part en dix minutes”, renchérit une autre habitante. Dans les rayons, impossible de savoir quand les précieuses bouteilles d’eau vont réapparaître. “Nous ne savons pas”, répètent en boucle les vendeurs.
Depuis le mois de juin, et la mise en place des coupures d’eau dans l’archipel pour faire face à cette sécheresse historique, la demande en bouteilles y a explosé. Et les enseignes ont bien du mal à faire face à cet afflux. “Nous avons un problème de disponibilité, la plupart des grandes surfaces sont déjà au taquet de ce qu’elles peuvent faire”, explique Zainabou Madjinda, inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (CCRF). Selon elle, les livraisons ont bien augmenté ces derniers mois mais des problèmes logistiques empêchent d’accélérer encore la cadence.
“On exploite la misère”
Derrière les portes en tôle des doukas, les nombreuses petites épiceries de l’île, la quête infinie des bouteilles d’eau fait également grimper les prix. “Dans les petites boutiques, le pack est vendu au moins 8 euros, s’indigne une quadragénaire, de retour à Mayotte après quelques années dans l’Hexagone. On exploite la misère.” Dans la rue et sur les réseaux sociaux, les prix les plus astronomiques repérés sur les étals sont répétés sans cesse. “J’ai vu des packs à 11 euros, assure un habitant, passablement agacé. L’eau en bouteille devient un moyen de se faire de l’argent pour certains commerçants, alors qu’il devrait exister de la solidarité !”
Pour faire face à cette hausse des prix, l’Etat a décidé d’intervenir. Un décret, publié le 18 juillet, a gelé le prix de vente des bouteilles d’eau commercialisées à Mayotte au tarif pratiqué au 3 juillet. Ainsi, la bouteille de 1,5 litre de Cristaline ne peut dépasser les 69 centimes dans les Carrefour de l’île, soit 4,14 euros le pack de six bouteilles, jusqu’à la fin de l’année 2023.
Selon les contrôles de la répression des fraudes, cet encadrement des prix est bien respecté. “Les grandes surfaces jouent le jeu”, assure Zainabou Madjinda. Mais celles-ci ne sont pas très nombreuses à Mayotte. Le long des routes cabossées de l’île, des centaines de doukas alimentent les habitants jusque dans les zones les plus reculées. Dans ces petits commerces, le référencement des prix au 3 juillet s’est révélé plus ardu.
La préfecture de Mayotte a donc pris un nouvel arrêté, le 27 septembre. Cette fois, la règle est claire et applicable dans tous les commerces indépendants de proximité : la bouteille d’eau de 1,5 litre ne peut être vendue à plus de 1,40 euro et celle de 50 centilitres, à 75 centimes maximum.
Des prix élevés mais stables
Dans sa petite boutique du quartier de Cavani, Echa Bacar n’est pas passée loin de l’amende. Jeudi, un inspecteur de la répression des fraudes est venu lui rendre visite pour vérifier ses tarifs. Dans l’armoire réfrigérée installée près de l’entrée, les grandes bouteilles d’eau sont facturées 1,30 euro, juste en dessous du plafond autorisé. “J’ai gardé les mêmes prix depuis six mois”, assure la gérante, sans lâcher sa machine à coudre. Mais ce n’est pas le cas de toutes les épiceries. “Sur 36 contrôles effectués début octobre, treize ne respectaient pas le plafonnement”, reconnaît Zainabou Madjinda.
Depuis plusieurs semaines, les inspecteurs de la répression des fraudes concentrent leurs contrôles sur le prix de l’eau. Deux contractuels ont même été embauchés pour renforcer les équipes. “Nous faisons souvent la technique du client mystère, explique l’un des inspecteurs en place à Mayotte, Dominique Deloge Jasiak. Cela nous permet de vérifier les prix vraiment pratiqués par les commerçants.”
Après plus de 150 contrôles dans tous les types de commerces, le premier bilan semble globalement positif. “Il y a plutôt une stabilité des prix”, assure Zainabou Madjinda. Les bouteilles aux prix les plus élevés relevés lors des contrôles étaient vendues autour de deux euros, selon l’inspectrice. “Il y a une différence entre la rumeur sur les réseaux sociaux et la réalité du terrain”, assure Dominique Deloge Jasiak.
Source : francetvinfo.fr