En avril 2023, une information « fuite » dans les médias français : le ministre de l’Intérieur projette une opération de police massive à Mayotte, département français d’outre-mer, pour la fin du mois de ramadan, afin de lutter contre l’immigration clandestine et l’insécurité sur l’île.
Le but annoncé est de détruire les habitats illégaux, d’interpeller les bandes de délinquants et de reconduire à la frontière 10 000 étrangers sans papiers (à raison de 300 par jour).
Cette opération, qui lie étroitement migration et délinquance, est très attendue par les élus locaux, même si les associations humanitaires rappellent aussitôt les atteintes régulières aux droits humains et au droit des étrangers dans l’île.
Mayotte fait partie d’un archipel uni par des traits culturels, une langue, une religion (l’islam) et une histoire en commun, mais coupé en deux par une frontière du fait qu’elle est restée française, puis devenue département, et région européenne « ultra-périphérique ». Les trois autres îles forment l’Union des Comores, un pays indépendant qui revendique Mayotte comme partie de son territoire national.
Pourquoi Mayotte est-elle française dans un archipel qui ne l’est plus ? Comment peut-elle compter près de 50 % de migrants « étrangers », en réalité comoriens à 90 % et que fuient ces derniers ? Comment un département français peut-il, malgré ses ressources, présenter le tableau social et sécuritaire décrit ?
Mayotte, comorienne ou non ?
C’est pour des raisons géostratégiques que Mayotte (374 km2, 300 000 habitants) est devenue française en 1841, raisons qui ont évolué aux XXe et XXIe siècles mais restent des non-dits de la situation actuelle. La région est notamment un centre d’écoute et de surveillance du canal du Mozambique et une zone économique de 2,5 millions de km2 au sein d’une zone maritime sous juridiction française de 17 millions de km2.
Les trois autres îles, qui formaient des royaumes séparés, sont colonisées en 1912. Mayotte en reste le chef-lieu, mais la Grande Comore et Anjouan, plus grandes, plus peuplées, aux élites sociales, politiques et économiques plus structurées, reprendront leur place dominante avec l’autonomie interne de l’archipel (1961).
L’administration est transférée vers la Grande Comore en 1958, ce qui prive Mayotte des emplois publics occupés par des notables des quatre îles qui étaient mariés sur place pour avoir, dans ce régime matrilocal, une vie domestique et familiale.
L’indépendance des Comores se prépare dans les années 1970, après celle de Madagascar en 1960. Mais la population principalement rurale de Mayotte craint la domination de l’élite urbaine des îles voisines. Or, un groupe social spécifique à Mayotte n’a pas non plus intérêt à l’indépendance et crée un mouvement pour « Mayotte française » : il s’agit des descendants de femmes de Sainte-Marie de Madagascar, île passée sous autorité française en 1750, et de métropolitains ou créoles, qui à Mayotte sont devenus les premiers fonctionnaires coloniaux puis les élus locaux. Une partie de la population menée par les femmes, comme l’a montré l’anthropologue Mamaye Idriss, se rallie à leur projet.
Réferendums et assimilation
Il s’en est fallu de peu, au niveau du gouvernement français, pour que le référendum de 1974 soit adressé, non « aux populations » mais « à la population » des Comores. C’est le compte par île qui est retenu et 63,22 % des électeurs mahorais votent contre l’indépendance. Moins de deux ans plus tard, un deuxième référendum confirme à 98,83 % la réponse, les indépendantistes ayant été réduits au silence par des violences ou des menaces. Depuis, aucune critique ou réserve n’est possible à l’égard de la départementalisation sous peine d’être accusé de collusion avec « l’ennemi » comorien qui voudrait dominer Mayotte, tandis qu’en Union des Comores, la revendication de Mayotte est au contraire un préalable obligatoire à toute déclaration publique.
Source : theconversation