Depuis la départementalisation de 2011, la législation sur l’île a dû se conformer aux normes françaises et européennes. Mais le droit des étrangers reste encore spécifique.
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« On ne pourra pas justifier éternellement le paradoxe consistant à placer Mayotte en dehors de la légalité républicaine pour mieux affirmer son appartenance à la République », cingle François Héran, professeur au Collège de France, dans son dernier ouvrage Immigration, le grand déni (Seuil, 2023). Les citoyens sont égaux devant la loi mais la Constitution française prévoit des « adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières [des] collectivités » d’outre-mer. A Mayotte, la Ligue des droits de l’homme (LDH) les voit plutôt comme « une somme de dérogations, d’exceptions à la norme, qui entraînent des privations graves de leurs droits fondamentaux » pour les habitants de l’île.
Département français depuis le 1er avril 2011, région ultrapériphérique de l’Union européenne depuis janvier 2014, Mayotte a dû se conformer aux normes françaises et européennes. Le droit s’est ainsi uniformisé dans certains domaines. Anticipant la départementalisation, la justice cadiale, basée sur le droit coutumier musulman et malgache, a été abrogée en 2010, de même que les nouvelles unions polygames.
Les manifestations pour « l’égalité réelle », qui avaient secoué l’île en 2016, ont eu raison du code du travail spécifique, qui était resté aux 39 heures et interdisait l’intérim. Les travailleurs mahorais ont pu ainsi passer aux 35 heures et bénéficier d’un conseil de prud’hommes, qui n’existait pas auparavant.
De nombreuses exceptions subsistent pourtant, surtout sur le droit des étrangers et la protection sociale.
De nombreuses dérogations sur le droit des étrangers
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) a été étendu à Mayotte en mai 2014, mais comporte de nombreuses dérogations, assumées dans le projet d’ordonnances qui l’a mis en place, publié en février 2014 : « Ces différences par rapport au droit commun découlent principalement de la volonté de dissuader autant que possible l’immigration irrégulière, notamment de mineurs, en provenance essentiellement des Comores. » A Mayotte, près d’un habitant sur deux était de nationalité étrangère en 2017, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
La plupart des titres de séjour délivrés sur l’île autorisent uniquement la présence à Mayotte, contrairement à ceux délivrés en métropole, valables sur tout le territoire français. Les étrangers ayant obtenu ce titre de séjour doivent ainsi obtenir un visa pour voyager dans un autre département.
A Mayotte, il n’y a pas de commission du titre de séjour, comme on en trouve pourtant en métropole, où ladite commission est saisie obligatoirement lorsque l’autorité administrative envisage de refuser de délivrer un titre de séjour à des personnes pouvant en bénéficier de plein droit. « Puisqu’il n’y a pas de contrôle en amont sur l’île, la préfecture peut beaucoup plus librement décider de ne pas délivrer un titre », relève Me Mélanie Trouvé, avocate au barreau de Mayotte.
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Depuis la loi asile et immigration de 2018, un enfant né à Mayotte de parents étrangers peut, comme dans le reste de la France, obtenir la nationalité française à ses 18 ans (ou à partir de ses 13 ans si ses parents en font la demande) s’il a vécu au moins cinq ans sur le territoire français depuis ses 11 ans. Mais il doit en plus justifier que l’un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière avec un titre de séjour, et depuis plus de trois mois à la date de sa naissance. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a récemment annoncé sa volonté d’allonger encore ce délai à un an.
Pour les enfants nés avant le 1er mars 2019 à Mayotte de parents étrangers, il faut justifier qu’un des parents a résidé de manière régulière en France pendant cinq ans à la date de la déclaration.
En France, la loi prévoit qu’un document de circulation pour étranger mineur soit délivré aux enfants « dont au moins l’un des parents est titulaire d’une carte de séjour temporaire, d’une carte de séjour pluriannuelle ou d’une carte de résident ». Cette carte, valable cinq ans, permet aux mineurs n’ayant pas la nationalité française de franchir les frontières du pays.
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Mais la loi immigration de 2018 a introduit une condition supplémentaire pour Mayotte : le document n’y est délivré qu’aux enfants nés sur le territoire mahorais ou entrés légalement avant leurs 13 ans. Les enfants ne répondant pas à ces critères ne peuvent donc pas quitter l’île, même si leurs parents en ont l’autorisation.
- Un délai plus court pour les demandes d’asile
Depuis l’entrée en vigueur d’un décret en mai 2022, les étrangers qui souhaitent demander l’asile à Mayotte ne disposent plus que de sept jours contre vingt et un auparavant (durée toujours en vigueur dans les autres départements).
- Un recours non suspensif contre les OQTF
Le département concentre chaque année plus de 60 % des obligations de quitter le territoire (OQTF). En France métropolitaine, lorsqu’un étranger en situation irrégulière soumis à une OQTF dépose un recours devant le tribunal administratif, il ne peut être expulsé avant la décision du juge. A Mayotte, le recours ne suspend pas automatiquement l’obligation de départ. Les personnes sont donc bien souvent expulsées avant que le juge soit saisi.
En 2022, la justice administrative a traité 5 567 recours d’étrangers à Mayotte et annulé 1 004 OQTF, notamment au bénéfice de parents dont les enfants possèdent la nationalité française.
La France a été condamnée en juin 2020 par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir expulsé deux enfants – de 3 et 5 ans nés à Mayotte – en les ayant rattachés arbitrairement à un adulte tiers pour les renvoyer vers les Comores.
- Pas d’allocation pour les demandeurs d’asile, ni d’aide au retour
En France métropolitaine, l’allocation pour demandeurs d’asile est de 6,80 euros par jour pour une personne seule. A Mayotte, aucun dispositif n’est prévu ; des bons alimentaires d’un euro par jour sont néanmoins distribués au titre de l’aide matérielle.
L’aide au retour, qui permet aux étrangers en situation irrégulière de rentrer dans leur pays d’origine en réglant leurs frais de transport et avec une petite aide financière, n’existe pas non plus à Mayotte.
- Pas de jour de délai avant un rapatriement éventuel
La loi prévoit que les personnes stoppées à l’entrée du territoire français puissent disposer d’un jour de délai avant leur rapatriement éventuel, notamment pour déposer un recours ou une demande d’asile. Les personnes majeures ne disposent pas de ce droit à Mayotte.
- Dans les centres de rétention, un délai de saisine du juge trop long
Lors d’un placement en rétention, la préfecture est tenue de saisir le juge des libertés et de la détention. Mais le délai, fixé à quarante-huit heures en métropole, a été allongé à cinq jours à Mayotte. « Comme les personnes sont renvoyées du jour au lendemain, le juge n’a pas le temps de statuer sur la légalité de l’expulsion », note Me Trouvé. Quand le juge est effectivement saisi avant que la personne soit expulsée, les privations de liberté « sont en général annulées car entachées de nullité, les droits ne sont pas respectés car tout est fait dans la précipitation », ajoute Marjane Ghaem, avocate en droit des étrangers ayant longtemps exercé sur l’île.
- Des contrôles d’identité sur l’intégralité du territoire à Mayotte
Au nom de « la lutte contre l’immigration clandestine », la police française à Mayotte peut procéder à des contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires en invoquant l’article 78-2 du code de procédure pénale. « L’île est considérée comme une frontière géante », clarifie Me Trouvé. Cette situation est différente de celle d’autres territoires ultramarins soumis à un régime d’exception, comme Saint-Barthélemy, la Guadeloupe et Saint-Martin, où ces contrôles ne peuvent avoir lieu que dans une zone de 1 km mesurée depuis le littoral.
Selon Médecins du monde, « certaines franges de la population sont ainsi soumises à une forme de harcèlement policier visant à faire tourner à plein régime une machine à expulser au mépris des droits fondamentaux des personnes ».
Sur le reste du territoire national, la loi ne l’autorise que dans une zone située à moins de 20 km d’une frontière, ou dans des localisations spécifiques (sur une autoroute ou dans un train).
Une législation sociale loin des standards hexagonaux
Les minima sociaux et les prestations sociales sont tous inférieurs à ceux pratiqués en métropole.
- Un smic inférieur au niveau métropolitain
Au 1er janvier 2023, le smic horaire à Mayotte est de 8,51 euros brut (soit 1 006,73 euros net par mois), alors qu’en France hexagonale et dans tous les autres départements ultramarins, il atteint 11,27 euros de l’heure (1 333,24 euros net mensuels), soit un niveau de 24,5 % inférieur.
- Un RSA au rabais
Après la départementalisation en 2011, l’Etat a étendu par décret le revenu de solidarité active (RSA) à l’île. Mais son montant n’est que de 287,76 euros par mois pour une personne célibataire en avril 2022, contre 607,75 euros ailleurs en France. Cela ne représente que 47 % du montant perçu sur le reste du territoire français, même si ce ratio s’améliore (il était de 25 % en 2012).
- Des conditions d’octroi drastiques aux minima sociaux pour les étrangers
Dans un rapport publié en mars 2022, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge soulignait qu’à Mayotte, « les minima sociaux sont peu distribués aux personnes étrangères en raison de règles drastiques ».
Pour bénéficier du RSA, les étrangers (hors réfugiés) doivent être titulaires d’un titre de séjour autorisant à travailler depuis au moins quinze ans. En France métropolitaine, cette condition de durée n’est que de cinq ans.
De la même façon, les étrangers qui voudraient bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées sur l’île doivent être titulaires d’un titre de séjour en cours de validité et compter une durée de résidence en situation régulière de quinze ans (contre dix ans en métropole).
- Rares sont les conventions collectives étendues à Mayotte
Les conventions collectives, ces textes négociés qui précisent les conditions de travail et les garanties sociales par branche, sont inopérantes à Mayotte, bien que le droit du travail s’y applique depuis le 1er janvier 2018.
Selon Mayotte Hebdo, seules une quarantaine de conventions collectives ont été étendues à l’île, parmi plus de 730. C’est le cas de la convention collective des télécommunications depuis septembre 2018, de l’habillement et des articles textiles (étendue en 2020), des métiers du commerce de détail alimentaire ou encore des établissements privés d’hospitalisation à but non lucratif, depuis juillet 2018.
- Une Sécurité sociale propre à l’île
Sur la santé, les Mahorais connaissent aussi un régime d’exception avec une assurance maladie-maternité locale depuis 2005, qui a remplacé la gratuité des soins pour les habitants : la Caisse de Sécurité sociale de Mayotte (conditionnée à la régularité du séjour) y gère les risques maladie, maternité, invalidité et décès.
Il n’existe pas d’AME (aide médicale d’Etat) « pour ne pas attirer de clandestins », expliquaient les sénateurs dans un rapport publié en août 2022. « Tout cela est bien hypocrite », déplore la sénatrice Les Républicains et rapporteuse Catherine Deroche, car « les soins sont bien pris en charge », non par l’Etat, mais par l’agence régionale de santé, sur son fonds régional d’intervention.
En dépit de multiples demandes réalisées, entre autres, par le Défenseur des droits, les personnes privées d’assurance-maladie – s’ils sont en situation irrégulière, par exemple – ne disposent d’aucune protection et doivent théoriquement s’acquitter des frais de leurs soins. Des sénateurs demandent d’envisager l’extension à Mayotte de la protection universelle maladie et de la complémentaire santé solidaire (CSS, ex-CMU complémentaire), qui sont disponibles dans le département « voisin » de La Réunion.
- Un système de retraite autonome
A Mayotte, un retraité ne peut pas toucher plus de 900 euros de pension pour une carrière complète, même après avoir perçu un bon salaire. En effet, le système de retraite mahorais est entré en vigueur en 1987, le travail effectué avant cette date n’est donc pas pris en compte dans le calcul de la retraite. Un décret de décembre 2021 prévoit l’attribution de trimestres supplémentaires en fonction du nombre de trimestres validés entre 1987 et 2002, afin de compenser la faible cotisation.
La réforme des retraites de 2023, passant l’âge légal de 62 à 64 ans, s’appliquera sur l’île mais aura peu d’incidences, car les Mahorais partent déjà le plus tard possible afin de minorer la perte de revenus. En janvier 2023, les 2 615 retraités de l’île touchaient en moyenne 276 euros par mois, en dessous du seuil de pauvreté.
Des exceptions diverses
- Le préfet peut expulser les occupants et faire démolir un bâtiment sans décision de justice
A Mayotte, comme en Guyane, le préfet a les pleins pouvoirs pour détruire des habitations illégales et expulser leurs habitants (article 197 de la loi 2018-2021), en respectant un délai de notification d’un mois. C’est tout l’enjeu de l’opération « Wuambushu », dont le but est de raser mille habitations insalubres en deux mois et dont la première étape a été annulée par la justice mardi 25 avril en raison d’« expulsions irrégulières », avant d’être relancée un mois plus tard.
Sur le reste du territoire national, l’Etat doit passer par le juge des référés (qui statue en urgence) afin de faire procéder à la démolition et à l’expulsion.
- Une laïcité à géométrie variable
Comme dans certains autres départements d’outre-mer ou en Alsace-Moselle, la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat ne s’applique pas. Ce sont les décrets Mandel de 1939 qui régissent les cultes. Chaque religion peut créer une « mission » et se gère avec un conseil d’administration agréé par l’Etat. Sur l’île, le culte musulman est largement majoritaire, mais n’a pas constitué ce type de mission et administre ses activités dans le cadre de la loi de 1901 sur les associations. Seule l’Eglise catholique s’est constituée en « mission » à partir de 1995.
Par ailleurs « pour un motif d’intérêt général et dans le respect du principe de laïcité », les collectivités peuvent subventionner des activités ou des équipements dépendant des cultes, comme l’a fixé le Conseil d’Etat dans une décision de 2005.
Source : Lemonde